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Réforme Belge de 2024 : Un Cadre Rigide pour la Reconnaissance des Sentences Arbitrales Annulées, en Opposition au Droit Français


Résumé:

La réforme belge de 2024 apporte plusieurs modifications au droit de l’arbitrage, notamment en ce qui concerne la reconnaissance des sentences arbitrales annulées. Contrairement à la France, qui adopte une approche plus flexible et permissive, la Belgique a choisi une voie plus rigide.

  1. La loi belge du 27 mars 2024 portant dispositions en matière de digitalisation de la justice et dispositions diverses Ibis apporte plusieurs modifications techniques bienvenues au droit belge de l’arbitrage. Les dispositions pertinentes figurent notamment aux articles 108 à 118 de cette loi.
  2. Plus particulièrement, l’article 117 de cette loi modifie l’article 1720 du code judiciaire belge[1], lequel a trait à la reconnaissance et l’exécution d’une sentence arbitrale, et y ajoute un paragraphe 7 rédigé comme suit: « la décision par laquelle une sentence arbitrale est reconnue et déclarée exécutoire est sans effet dans la mesure où la sentence arbitrale a été annulée ». Autrement dit, l’annulation d’une sentence est un obstacle à sa reconnaissance et son exécution en Belgique[2].
  3. Les Etats Unis ont opté pour la même approche[3] et ce depuis les affaires Baker Marin contre Chevron[4] et Termo Río SA ESP et al. Contre  Electranta SP et al[5]. Toutefois, le 2 août 2016, une Cour d’appel américaine a reconnu une sentence étrangère qui avait été annulée au siège de l’arbitrage, en l’espèce au Mexique[6].
  4. En suisse, malgré quelques affaires isolées[7], la Cour suprême n’a pas encore eu à décider si les tribunaux suisses devraient, dans certaines circonstances, reconnaître et exécuter une sentence nonobstant son annulation dans le pays d’origine. Concrètement, dans l’hypothèse où un défendeur invoque une décision d’annulation étrangère pour s’opposer à la reconnaissance et à l’exécution d’une sentence, les tribunaux suisses devraient déterminer si la décision d’annulation étrangère est exécutoire en Suisse[8]. Pour rappel, la décision d’annulation étrangère ne sera pas exécutoire en Suisse si elle a été rendue par un tribunal incompétent (article 25(1) LDIP) ou si son exécution est contraire à l’ordre public suisse (articles 25(3) et 27 LDIP).
  5. La solution récemment retenue par le droit belge contraste avec celle du droit français, selon laquelle l’annulation d’une sentence étrangère par les juridictions du siège de l’arbitrage ne fait pas obstacle à sa reconnaissance ou à son exequatur en France. Il s’agit d’une solution bien assise en droit français depuis l’arrêt Norsolor de 1984, reconnaissant une sentence partiellement annulée[9], puis confirmée à plusieurs reprises à l’occasion des affaires Polish Ocean Line [10], Bargues Agro[11], Bechtel[12], Hilmarton[13] et Putrabali [14]. En outre, la Cour de Cassation[15] a retenu qu’une sentence rendue et annulée à l’étranger peut être reconnue et exécutée en France, et ce même dans un arbitrage interne.
  6. Le fondement de la jurisprudence française résulte de la combinaison de l’article VII de la Convention de New York[16], réservant l’application du droit plus favorable du pays où l’exequatur est requis, et de l’article 1502 NCPC, qui ne compte pas parmi les motifs de refus de la reconnaissance ou de l’exécution, l’annulation de la sentence dans le pays du siège.
  7. Cette solution libérale contraste avec celle concernant les sentences rendues en France puis annulées par les juridictions étatiques françaises. Celles-ci ne bénéficient, évidemment pas, de cet avantage. En effet, l’article 1524, alinéa 2 du code français de procédure civile précise que le recours en annulation emporte de plein droit recours contre l’ordonnance d’exequatur ou dessaisissement du juge ayant statué sur l’exequatur quand celui-ci ne s’est pas encore prononcé. Ainsi, si l’exequatur a été accordé, la décision l’accordant sera annulée à l’occasion du recours en annulation.
  8. Quant aux juridictions des Pays-Bas, elles ont adopté la même approche que celle des juridictions françaises, ayant par exemple accordé l’exequatur notamment à une sentence annulée en Russie, État du siège de l’arbitrage[17].

Conclusion : Cette diversité des solutions apportées à la question de la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales annulées dans le pays du siège ne manquera pas d’exacerber la pratique de l’exequatur shopping, permettant ainsi au demandeur de saisir les juridictions les plus libérales, à condition de pouvoir y localiser des biens saisissables.


[1] Ancienne version de l’article 1720 du code judiciaire belge :

« § 1er. Le tribunal de première instance est compétent pour connaître d’une demande concernant la reconnaissance et l’exécution d’une sentence arbitrale rendue en Belgique ou à l’étranger.

§ 1er/1. La demande est introduite et instruite sur requête unilatérale. Le tribunal statue en premier et dernier ressort conformément à l’article 1680, § 5. Le requérant doit faire élection de domicile dans l’arrondissement du tribunal.

§ 2. Lorsque la sentence a été rendue à l’étranger, le tribunal territorialement compétent est le tribunal de première instance du siège de la cour d’appel dans le ressort de laquelle la personne contre laquelle la déclaration exécutoire est demandée a son domicile et, à défaut de domicile, sa résidence habituelle où, le cas échéant, son siège social, ou à défaut, son établissement ou sa succursale.

Si cette personne n’a ni domicile, ni résidence habituelle, ni siège social ni établissement ou succursale en Belgique, la demande est portée devant le tribunal de première instance du siège de la cour d’appel de l’arrondissement dans lequel la sentence doit être exécutée.
§ 4. Le requérant doit fournir l’original de la sentence arbitrale ou une copie certifiée conforme.

§ 5. La sentence ne peut être reconnue ou déclarée exécutoire que si elle ne contrevient pas aux conditions de l’article 1721 ».

[2] Contra : TPI Bruxelles, 6 décembre 1988, Bull. ASA, 1989.213.

[3] Sauf dans l’affaire  Chromalloy Aeroservices contre République Arabe d’Egypte, 31 juillet 1996, US District Court, District of Columbia, n°94-2339.

[4] Le Tribunal fédéral du District Nord de New York a refusé de reconnaître les sentences annulés au pays du siège. La Cour d’appel pour le Second Circuit ainsi que la Cour suprême ont confirmé ce jugement.

[5] Cour d’appel du District de Columbia 487 F.3d 928, 25 mai 2007, Rev. arb., 2007.553, note J. Paulsson.

[6] Corporacion Mexicana De Mantenimiento Integral, S. De R. L. de C.V. contre Pemex-Exploracion y Produccion, 2nd US Court of Appeals, n°13-4022.

[7] Voir en l’occurrence la décision du Tribunal fédéral suisse, 18 septembre 1957, Rev. arb., 1957.136.

[8] Catherine Anne Kunz  « Annulment and Enforcement of Arbitral Awards from a Comparative Law Perspective »,  p.72.

[9] Affaire Norsolor, Cour de Cassation, Chambre civile 1, 9 octobre 1984, pourvoi n° 83-11.355.

[10] Affaire Polish Ocean Line, Cour de Cassation, Chambre civile 1, 10 mars 1993, pourvoi n° 91-16.041.

[11] Affaire Bargues Agro, Cour d’appel de Paris (Chambre 1 – Section C), 10 juin 2004, RG n° 2003/09894.

[12] Affaire Bechtel : Cour d’appel de Paris (Chambre 1 – Section C), 29 septembre 2005, RG n° 2004/07635.

[13] Affaire Hilmarton, Cour de Cassation, Chambre civile 1, 23 mars 1994, pourvoi n° 92-15.137 : « Attendu, ensuite, que c’est à juste titre que l’arrêt attaqué décide qu’en application de l’article 7 de la convention de New-York du 10 janvier 1958, la société OTV était fondée à se prévaloir des règles françaises relatives à la reconnaissance et à l’exécution des sentences rendues à l’étranger en matière d’arbitrage international et notamment de l’article 1502 du nouveau Code de procédure civile qui ne retient pas, au nombre des cas de refus de reconnaissance et d’exécution, celui prévu par l’article 5 de la Convention de 1958 ; Attendu, enfin, que la sentence rendue en Suisse était une sentence internationale qui n’était pas intégrée dans l’ordre juridique de cet Etat, de sorte que son existence demeurait établie malgré son annulation et que sa reconnaissance en France n’était pas contraire à l’ordre public international ».

[14]  Affaire Putrabali, Cour de Cassation, Chambre civile 1, 29 juin 2007, pourvoi n° 05-18.053 : « Mais attendu que la sentence internationale, qui n’est rattachée à aucun ordre juridique étatique, est une décision de justice internationale dont la régularité est examinée au regard des règles applicables dans le pays où sa reconnaissance et son exécution sont demandées ; qu’en application de l’article VII de la Convention de New York du 10 janvier 1958, la société Rena Holding était recevable à présenter en France la sentence rendue à Londres le 10 avril 2001 conformément à la convention d’arbitrage et au règlement de l’IGPA, et fondée à se prévaloir des dispositions du droit français de l’arbitrage international, qui ne prévoit pas l’annulation de la sentence dans son pays d’origine comme cause de refus de reconnaissance et d’exécution de la sentence rendue à l’étranger ».

[15] Cour de Cassation, Chambre civile 1, 17 octobre 2000, pourvoi n° 98-11776. Voir aussi affaire l’affaire Natgas contre EGPC, Cour de Cassation, Chambre civile 1, 13 janvier 2021, pourvoi n° 19-22.932.

[16] L’article VII, § 1, de la Convention prévoit que « les dispositions de la présente Convention ne privent aucune des parties intéressées du droit qu’elles pourraient avoir de se prévaloir d’une sentence arbitrale de la manière et dans la mesure admise par la législation ou les traités du pays où la sentence est invoquée ». La convention de New York a été rédigée en pas moins de cinq textes également authentiques : le chinois, l’anglais, l’espagnol, le français et le russe. Il a été avancé que les textes anglais et français divergent sur un point clé : le texte anglais de l’article V(1) permettrait mais n’imposerait pas au juge de rejeter les demandes de reconnaissance et d’exécution d’une sentence si elle a été annulée par une autorité compétente du pays dans lequel, ou d’après la loi duquel, la sentence a été rendue, alors que le texte français obligerait le juge à débouter le requérant.

[17] Décision de la cour d’appel d’Amsterdam, du 28 avril 2009, affaire Yukos Capital SARL V. OAO Rosneft, n°200.005.269/01; confirmée par la cour suprême des Pays-Bas par un arrêt du 25 juin 2010, n°09/02566


Joséphine Hage Chahine

Avocat Jeantet

Arbitre CMAP


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