Médiateurs experts ou béotiens ? Focus sur le secteur IT


De formation ingénieur en informatique, Etienne Iris a dédié toute sa carrière professionnelle au conseil en nouvelles technologies numériques.
Etienne est médiateur agréé auprès du CMAP (Centre de Médiation et d’Arbitrage de Paris) et conduit des médiations inter-entreprise dans le domaine du numérique depuis 12 ans.

Il a débuté sa carrière chez IBM en tant que juriste, où il a gravi les échelons pour devenir Associate General Counsel. Il a occupé divers postes à responsabilité, notamment en tant que Responsable juridique et Directeur juridique.

Il est aujourd’hui médiateur agréé CMAP.


Etienne Iris :

Comme la plupart de mes collègues médiateurs du CMAP, ma première expérience de médiation remonte bien avant d’avoir été agréé par le CMAP. J’ai fait, très jeune, de la médiation « sans le savoir » dans la cour de l’école, en famille et naturellement dans ma vie professionnelle.

Plus sérieusement, ma toute première médiation, en tant que médiateur CMAP, portait sur un projet de réalisation d’un observatoire de données pour un opérateur public. Le projet a pris du retard. Chaque partie s’est petit à petit focalisée sur ses attentes non satisfaites. Le client contestait quelques fonctionnalités, le fournisseur (ici une société de développement logiciel) jugeait que son client avait des besoins fluctuants. Des mises en causes portant sur les compétences des uns et des autres se sont progressivement ajoutées pour aboutir au refus du client de payer certaines factures du fournisseur.

Des mises en demeure ont été échangées, le fournisseur a continué à travailler sans être payé, dans l’espoir de mener à bien le projet. Des réunions se sont tenues pour résoudre les difficultés, une convention avait même été signée mais la confiance mutuelle a disparu et le projet s’est arrêté au milieu du gué. Une procédure judiciaire a été engagée par le client.

Le CMAP a été saisi par le TGI et la médiation a démarré.

2 réunions plénières plus tard, les deux parties sont convenues d’un accord consistant en la remise de la solution « en l’état » au client et au règlement au fournisseur d’une partie des factures restées impayées. La médiation s’est déroulée en 12 heures sur une durée de 3 mois.

Jean-Charles Savouré :

Cette première expérience fut assez atypique. Il s’agissait d’un litige dans lequel les parties ne se parlaient plus depuis de nombreux mois. La première réunion avait consisté pour elles à s’invectiver pour se renvoyer la responsabilité de leur mésentente. Cette réunion avait permis de radoucir les élans de chacun mais fut insuffisante pour commencer à débattre du fond du litige. Une seconde réunion fut donc programmée à bref délai. La veille de cette seconde réunion, les avocats des deux parties me firent savoir qu’un accord était intervenu et qu’une nouvelle réunion n’était donc pas nécessaire. S’agissant d’une première médiation, je suis sorti quelque peu frustré de n’avoir pas moi-même participé à la naissance de cet accord. J’ai dû me satisfaire de l’idée que l’accord en question n’avait été rendu possible que par les échanges permis par la médiation. 

Etienne Iris :

Je suis devenu médiateur sur les conseils d’une amie avocate qui m’a dit un jour « je te verrais bien médiateur ». Les nombreuses discussions que j’ai eu avec mes collègues du CMAP semblent montrer qu’il y a une forme de prédisposition sur ce point. Je n’aime pas le conflit et, assez naturellement, j’ai tendance à m’interposer lorsque je vois deux personnes se disputer pour essayer de les aider.

Je me suis rapproché du CMAP du fait de sa notoriété et des avis positifs que j’avais pu collecter auprès de mon entourage. J’ai suivi deux formations à la médiation : la médiation inter entreprise et la médiation intra entreprise. Cela a été une forme de révélation. Les intervenants formalisaient des situations que j’avais vécues et proposaient des techniques simples de structuration qui m’ont parlé. J’ai ensuite passé l’agrément et, depuis près de 14 ans, je conduis des médiations avec le CMAP exclusivement dans le secteur IT.

Jean-Charles Savouré :

Un penchant personnel vers la recherche du compromis fait que l’intérêt de la médiation m’a toujours semblé évident. D’autre part, ma vie professionnelle, consacrée au droit des affaires en entreprise, m’a fourni maints exemples de situations, dans ma propre entreprise ou ailleurs, où le litige trouvait sa principale origine dans des difficultés interrelationnelles. Avec un tel profil, et un tel parcours, la médiation se présentait pour moi comme une évolution naturelle. Quant au choix du CMAP, il s’imposait de façon évidente de par la renommée de cette institution, de la qualité reconnue de sa formation, et de son enracinement dans le domaine des conflits entre entreprises.

Etienne Iris :

Ce qui me frappe le plus lors des médiations c’est le « moment » ou la médiation bascule. Dans trois quarts des cas, les médiations aboutissent à un accord. C’est un ratio que j’ai moi-même constaté sur les dizaines de médiations que j’ai conduites. Ce moment de bascule voit généralement l’une des parties faire une remarque ou une suggestion qui « débloque » les positions et fait basculer l’échange vers la recherche effective et sincère d’une solution. C’est comme le franchissement d’un col ou les randonneurs voient progressivement se dévoiler la vallée de l’autre côté.

Ce fameux « moment de bascule » intervient généralement quand les parties ont « vidé leur sac » et ont entendu les besoins de l’autre partie, qui sont deux phases clés du processus de médiation. Elles peuvent prendre conscience de la fragilité de certaines de leurs positions. A ce stade, il peut y avoir une prise de conscience que s’engager dans une voie conflictuelle dure, voire dans une voie judiciaire, ne sert pas leurs intérêts.

Je vous avoue, qu’en tant que médiateur, ce moment de bascule est un vrai soulagement. On peut le sentir venir mais parfois, on ne le voit pas arriver. Il peut intervenir après un long silence, après une remarque anodine d’une des parties, à la reprise d’une pause… Le conflit suspend son vol. C’est le côté « magique » de la médiation.

Jean-Charles Savouré :

Mes souvenirs les plus marquants sont ceux où, embarqué comme médiateur dans un dossier où l’une des Parties n’a aucune confiance dans le principe de la médiation (c’est parfois le cas en médiation judiciaire, lorsqu’une Partie n’a pas cru pouvoir résister à l’invitation du juge de commencer par une tentative de règlement amiable), la médiation se termine sur une issue positive. Le fait de parvenir à un accord dans ces circonstances et d’entendre la partie récalcitrante admettre qu’elle est désormais convaincue de l’intérêt de la médiation est extrêmement gratifiant pour le médiateur.

Etienne Iris :

Parce que les projets et activités IT sont de plus en plus complexes, font appel à de multitudes de compétences et d’acteurs aux approches et aux cultures diverses. Personne, dans un projet numérique ne maîtrise la totalité de ses composantes.

Un projet numérique ou une activité d’infogérance sont naturellement régis par des contrats, dont certains vont très loin dans les détails. Mais, aussi complet qu’ils soient, ces contrats ne peuvent pas prévoir tous les aléas intervenant sur des activités aussi complexes. Du coup, la « vie » du projet réserve des surprises de tous ordres (infaisabilité d’une fonctionnalité, révision du périmètre, indisponibilité d’une ressource critique etc…). Ces aléas et ces surprises génèrent des tensions qui peuvent devenir des conflits. J’ajoute les incompréhensions culturelles entre les acteurs (le client, expert de son métier et le consultant, expert de sa technologie) et toutes les tensions inhérentes à la vie professionnelle en équipe.

Quand une tension forte apparait, chaque partie se réfère aux documents qu’elle a produit et naturellement au contrat en interprétant en sa faveur les flous qui pourraient y figurer. Ce n’est que via un échange dépassionné et structuré (par le processus de médiation) que des ouvertures vers des solutions peuvent se dégager.

Jean-Charles Savouré :

La raison essentielle me semble être que, comme dans de nombreux dossiers impliquant à la fois une relation de longue durée (et donc à fort potentiel d’évolution par rapport à la relation initiale), et un environnement technique complexe, il y a peu de place pour le binaire. Les Parties engagées dans un litige IT savent qu’il est peu probable qu’un tribunal s’en tienne à une analyse manichéenne de leur conflit. L’appel à un tiers neutre et indépendant pour les assister dans la recherche d’un accord s’impose ainsi comme une alternative d’autant plus efficace qu’elle est sans risque quelle qu’en soit l’issue.

Etienne Iris :

Ah, la grande question qui agite le monde de la médiation ! C’est un sujet passionnant.

Ma conviction est qu’il faut se placer du point de vue des parties pour y répondre.

Si je suis une partie en conflit sur un projet numérique, je vis des tensions fortes avec l’autre partie voire avec mes collègues et je n’ai pas besoin, en plus, d’avoir à expliquer de long en large les problèmes techniques ou méthodologiques à un médiateur qui ne connait rien de ce domaine. Cela risquerait d’attiser les tensions qui me traversent et ne servirait pas le bon déroulement de la médiation.

De ce fait, je pense que le médiateur doit être bon connaisseur du domaine concerné (dans mon cas, l’IT) pour éviter de poser aux parties des questions irritantes. Il doit comprendre le vocabulaire employé par les parties et identifier les enjeux pour poser les bonnes questions et faire avancer le dialogue.

Il ne doit naturellement pas adopter la posture de l’expert qui, par définition, « sait ». Le médiateur n’a pas à « savoir » car celui qui sait devient rapidement celui qui juge. Le médiateur qui juge est hors sujet. Or, l’expert, par définition « sait ». Il sait ce qu’il aurait fallu faire, il sait ce qu’il faut faire à l’avenir. Mais, dans la médiation, c’est aux parties d’échanger et de trouver par elles-mêmes ce qu’il aurait fallu faire et ce qu’il faut faire à l’avenir.

Malgré tout, que le médiateur soit un bon connaisseur voire un expert du domaine traité, l’important se situe dans sa posture. De mon point de vue, il doit poser des questions de béotien pour aider les parties à expliquer et à mutuellement entendre leurs compréhensions, leurs points de vue et leurs besoins.

Là où le médiateur doit être un expert et doit revendiquer son expertise, c’est dans le processus et les techniques de médiation.

Jean-Charles Savouré :

A titre personnel, j’ai pour habitude de préparer mes dossiers très en amont de la première réunion entre les Parties, en demandant ou en réunissant les éléments qui me sont nécessaires à la compréhension des éléments essentiels du litige. Par ailleurs, en cours de médiation, je n’hésite jamais à demander aux parties de clarifier ce qui me semble nécessiter des éclaircissements, ce qui est généralement interprété comme un signe d’implication du médiateur et donc perçu positivement. Dans ces conditions, mes compétences personnelles initiales, bien qu’utiles lorsqu’elles ont un rapport avec le litige, ne me paraissent pas un prérequis pour conduire et réussir une médiation.


De formation ingénieur en informatique, Etienne Iris a dédié toute sa carrière professionnelle au conseil en nouvelles technologies numériques.
Etienne est médiateur agréé auprès du CMAP (Centre de Médiation et d’Arbitrage de Paris) et conduit des médiations inter-entreprise dans le domaine du numérique depuis 12 ans.

Il a débuté sa carrière chez IBM en tant que juriste, où il a gravi les échelons pour devenir Associate General Counsel. Il a occupé divers postes à responsabilité, notamment en tant que Responsable juridique et Directeur juridique.

Il est aujourd’hui médiateur agréé CMAP.

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