Par Pierre Charreton, Médiateur agréé du CMAP
La neutralité du médiateur fait rarement l’objet de longs développements. Chacun s’accorde à considérer que ce principe constitue une nécessité sans laquelle il ne saurait y avoir de médiation possible. Ainsi on serait en présence d’un non-sujet puisque nul ne saurait valablement discuter le bien-fondé de cet axiome.
1. Le triptyque : neutralité, impartialité et indépendance. 1.1 Neutralité et impartialité
1.1 Neutralité et impatialité
La notion de neutralité est associée à celle d’impartialité. L’impartialité est relative au comportement du médiateur dans le cours de la médiation. Elle consiste en un traitement égal, sans parti pris et implique de la part du médiateur une forme de distanciation. Peu importe que le médiateur se considère comme impartial il doit apparaître comme tel aux yeux des parties seules juges de cette qualité. La neutralité, notion voisine, concerne davantage le processus de recherche de l’accord jusqu’à l’éventuelle solution. Nous évoquerons ci-après les deux concepts dans le même mouvement.
1.2 L’indépendance
La question de l’indépendance se trouve souvent associée aux principes de neutralité et d’impartialité. Si l’absence d’indépendance du médiateur par rapport à l’une des parties peut conduire à un défaut de neutralité ou d’impartialité, elle ne recouvre pas la même problématique. La notion d’indépendance s’applique aux relations éventuelles que le médiateur a entretenues, ou entretient, avec l’une des parties, antérieurement ou au moment de sa possible désignation.
On notera que la question de l’indépendance du médiateur, rapportée à celle du conflit d’intérêts qui en est la résultante, est plus simple à traiter puisqu’elle se pose, en général, une fois pour toute, en amont de l’engagement de la médiation alors que la question de la neutralité et de l’impartialité subsiste tout au long du processus de médiation : « Le médiateur ne doit pas entreprendre une médiation sans avoir fait connaître les circonstances qui pourraient affecter son indépendance ou conduire à un conflit d’intérêt… » (Code de conduite européen et Règles d’éthique des médiateurs).
La notion de conflit d’intérêt, laissée à l’appréciation des parties, relève largement du cas par cas et est susceptible de varier sensiblement dans son application. Relevons que, dans la pratique, bien que le médiateur ne rende aucune décision on lui applique volontiers, et avec la même rigueur, les règles relatives aux juges ou aux arbitres… qui rendent des décisions.
1.3 Les références
Sans prétendre à l’exhaustivité signalons l’article 21-2 de la loi du 8 février 1995 : « le médiateur accomplit sa mission avec impartialité, compétence, indépendance et diligence ». L’article 6.1 du règlement du CMAP dispose en écho que « le médiateur doit être indépendant, neutre et impartial à l’égard des parties. Il doit leur fait connaître, …, les circonstances qui, aux yeux des parties, seraient de nature à affecter son indépendance et/ou son impartialité ». Le Code de conduite européen pour les médiateurs expose quant à lui que « le médiateur doit agir en toutes circonstances de manière impartiale avec les parties et faire en sorte que son attitude apparaisse comme telle. Il doit se comporter de manière équitable vis-à-vis des parties ».
Cependant les notions de neutralité et d’impartialité, voire d’indépendance, consensuelles et acceptées avec entrain par les médiateurs apparaissent en pratique plus délicates à décliner qu’à accepter.
2. La neutralité et les dilemmes de la médiation
2.1 Le dilemme des parties
Les parties qui débutent une médiation, plus ou moins convaincues de la pertinence de l’exercice, pensent pour la plupart que leur point de vue est fondé et leurs positions largement justifiées au regard du différend à régler. Ce faisant le médiateur leur rappelle l’obligation de bonne foi à laquelle elles sont tenues. Dès lors chaque partie convaincue que la bonne foi va de soi pour ce qui la concerne estime qu’on ne saurait valablement la suspecter d’y manquer.
La mauvaise foi est rarement flagrante en médiation, elle est plutôt insidieuse.
L’exigence de bonne foi de la part des parties est de nature comportementale, elle fait, d’une certaine manière, écho au devoir de neutralité et d’impartialité qui incombe au médiateur. Elle constitue à cet égard une forme de réponse implicite des parties au médiateur autour de l’idée de loyauté comportementale.
Dès lors est-il possible d’être partie prenante, c’est-à-dire massivement convaincu de la justesse et du bien-fondé de sa position et, en même temps, être véritablement de bonne foi ? La bonne foi ne suppose-t-elle pas in fine un certain sens de la relativité difficile à atteindre dans les circonstances d’un conflit ? Tel est le dilemme des parties.
2.2 Le dilemme du médiateur
Pour le médiateur le défi réside dans la nécessité de tenir la ligne de la neutralité et de l’impartialité tout en étant témoin du manque de bonne foi, plus ou moins marqué, par l’une ou l’autre des parties, voire par les deux.
Cette tension illustre le dilemme du médiateur : tenter de relever le défaut de bonne foi c’est prendre le risque d’être taxé de manquer à l’obligation de neutralité et d’impartialité aux yeux de la partie en cause et de compromettre le cours de la médiation. Le dilemme du médiateur réside dans cette constante confrontation entre le respect des principes de neutralité et d’impartialité face au comportement partisan des parties, qu’il convient de gérer sans les heurter, alors que la pente naturelle incline à mettre en exergue leur biais comportemental.
3. les questions impertinentes
Il est légitime de s’interroger sur la capacité du médiateur à rester en toutes circonstances neutre et impartial tout au long d’un processus de médiation ?
Chaque médiateur à ses conceptions, ses préjugés, ses biais, comment en faire abstraction et faire en sorte que ceux-ci n’influent pas sur son comportement, sa compréhension du litige et sa conduite du processus de médiation ?
De même, le médiateur saura -t- il, toujours, traiter également les parties en tenant à l’écart ses préférences, sa sympathie ou son antipathie à l’égard de telle ou telle partie ?
Comment le médiateur pourra-t-il rester insensible à la qualité d’un argumentaire comparée à la faiblesse de celui qui peut être développé par l’autre partie ?
Est-il possible pour un médiateur de questionner, d’aider, à l’occasion d’un aparté par exemple, sans attenter involontairement à l’obligation de neutralité et d’impartialité et, le cas échéant, s’ingérer par trop dans l’élaboration de l’accord ?
Dans le cas, assez fréquent, d’un déséquilibre significatif entre les parties en présence, ou d’une situation de dépendance économique, le médiateur peut-il, sans s’immiscer, laisser se construire un accord qui ne serait pas équilibré ou équitable ? Une intervention ne sera-t-elle pas interprétée comme un manquement à son obligation de neutralité et d’impartialité ?
Ainsi les risques de manquement, volontaires ou non, du médiateur à son obligation de neutralité et d’impartialité sont multiples et permanents. Dans les faits le médiateur se tient en équilibre sur un fil et peut à tout moment verser d’un côté ou l’autre.
Quelles sont les circonstances pratiques d’un manquement à l’obligation de neutralité et d’impartialité par le médiateur ?
Le médiateur ne rend pas de décisions ce qui atténue les conséquences potentielles du non-respect de ses obligations en matière de neutralité. Il peut cependant, fort de son statut, consciemment ou non, abuser de son autorité exercer une influence, une pression sur une partie et ce faisant peser sur la solution du litige. Il peut encore, en vue d’aboutir coûte que coûte à un accord, orienter une partie vers une solution qu’elle n’aurait peut-être pas acceptée sans ces manœuvres.
4. La réponse des parties au manquement du médiateur
Les parties ne sont pas démunies si un manquement au devoir de neutralité et d’impartialité se réalise ou si elles estiment qu’il s’est réalisé.
La partie se considérant, à tort ou à raison, comme « victime » d’un manquement à l’obligation de neutralité et d’impartialité du médiateur peut choisir de faire abstraction de cette attitude considérée partiale et poursuivre l’objectif qu’elle s’est assignée dans la médiation.
Elle peut, et s’est souvent préférable, faire état de son ressenti et s’en expliquer avec le médiateur dans le cadre d’un aparté. Le médiateur s’efforcera de profiter de l’échange pour rétablir la relation de confiance.
Elle peut aussi choisir délibérément de créer un incident et faire remarquer au médiateur son manquement dans le cours d’une réunion plénière de médiation. Cette décision ne devrait toutefois pas être la conséquence d’une réaction émotionnelle mais résulter d’un « choix tactique » dirigé en réalité aussi bien vers le médiateur que vers l’autre partie.
Il est également possible de demander un changement de médiateur. Cette option spectaculaire suppose la survenance d’une violation manifeste, considérée comme irrémédiable, de l’obligation de neutralité et d’impartialité.
En dernier lieu, décision ultime, il est loisible à la partie prétendument victime de demander l’arrêt pur et simple de la médiation.
5. Les atouts du médiateur
A l’effet d’éviter les pièges le médiateur doit développer de nombreuses qualités comportementales au premier rang desquelles l’autorité. Celle-ci résulte de la mystérieuse alchimie entre son statut, sa personnalité et son expérience. Elle constitue un capital qu’il doit préserver tout au long du processus de médiation. L’autorité n’est pas l’autoritarisme il s’agit d’être un guide et de conduire le processus en souplesse. L’autorité doit être un outil au service de la neutralité et de l’impartialité.
On a déjà évoqué le pouvoir d’influence du médiateur ; il serait inutile de nier sa réalité. Corollaire de l’autorité ce pouvoir est souhaitable ; dans une certaine mesure. Tout réside dans l’usage qu’en fait le médiateur. Le pouvoir d’influence du médiateur doit, dans un premier temps, servir à faciliter la compréhension du litige par les parties c’est à dire les aider à identifier les véritables raisons et ressorts du litige, puis à favoriser leur réflexion au regard des solutions qui s’offrent à elles.
La confiance, d’où découle le crédit accordé au médiateur, est le carburant du médiateur. Celle manifestée par les parties à l’égard du médiateur constitue la meilleure preuve qu’il est perçu par elles comme neutre, impartial et indépendant. Pourtant, en médiation, la confiance ne saurait être ni absolue ni infinie. Elle est naturellement relative, plus ou moins présente, variable et évolutive, elle fluctue tout au long du processus de médiation en fonction des difficultés rencontrées dans le cheminement du processus. Pour construire et installer durablement le climat de confiance le médiateur doit s’astreindre à un effort permanent tout au long de la médiation.
A toutes les obligations qui pèsent sur le médiateur il faut ajouter le devoir de vigilance lequel nous semble constituer le meilleur antidote face aux risques de manquement à l’obligation de neutralité.
Le manquement se manifestera dans l’expression du médiateur. Le médiateur doit être attentif à sa gestuelle, à son expression faciale, ne jamais être familier, s’exprimer clairement, avec précision, sans sous-entendus, il convient que les parties comprennent les mêmes choses. Le danger culmine dans le cours des apartés. Ceux-ci portent à la confidence et favorisent naturellement une plus grande proximité. Les parties vont à ce moment s’efforcer de déchiffrer le niveau d’adhésion du médiateur à leur point de vue et tenter de l’attirer sur leurs positions. On le voit l’exercice est complexe : le médiateur doit dans l’aparté susciter des avancées, faire sauter des verrous, et, dans le même temps, faire la démonstration de ses qualités notamment par le respect des principes de neutralité et d’impartialité.
La neutralité, l’impartialité et l’indépendance sont des notions voisines et complémentaires qui conditionnent et structurent la médiation dans la mesure où elles sont indispensables à son bon déroulement et à son bon aboutissement. Ainsi il ne suffit pas que le médiateur se croit impartial, neutre ou indépendant, il importe que les parties, unanimes, le pensent également. Simples dans leur énonciation et leur compréhension ces notions exigent du médiateur un auto-contrôle permanent, quelles que soient les circonstances ; ce qui n’est pas toujours facile et mérite qu’on en parle.