Interview de Christophe AYELA, Avocat au Barreau de PARIS (STAS & ASSOCIES), Médiateur agréé CMAP.
Cas Thomas contre LOGIFUN*
(*les noms des parties ont été modifiés)
Christophe AYELA, vous êtes Avocat au Barreau de PARIS, Médiateur agréé CMAP depuis plus de 15 ans et Formateur auprès de l’Institut 131. Retour sur l’une de vos médiations marquantes.
Quel était le litige initial ? Les parties prenantes ?
Médiateur agréé au CMAP, je suis sélectionné par les parties dans le cadre d’un conflit que je trouve très “tendu”. D’une part, Thomas*, artiste évoluant dans l’audiovisuel et la musique, avait déposé le nom de l’une de ses créations auprès de la SACEM. Découvrant qu’une société éditrice de jeux, LOGIFUN*, lance à l’échelle mondiale un jeu dont le nom s’apparente à la traduction anglaise de sa création, Thomas déclenche un procès, s’appuyant sur la législation en vigueur en matière de propriété intellectuelle. Le Juge encourage une médiation entre les deux parties.
Quel était l’enjeu ?
L’enjeu étant mondial, Thomas réclame une somme très élevée, plusieurs millions d’Euros, considérant avoir été plagié. La société LOGIFUN l’assure de sa bonne foi et explique et conteste l’originalité de son dépôt en SACEM qui ne serait donc pas protégé.
A cet instant, le demandeur exige beaucoup, et l’autre partie n’est pas prête à payer compte tenu du fort aléa juridique sur les demandes. Afin d’éviter le blocage frontal et définitif, j’entame le processus de médiation.
Comment se déroule la médiation?
En médiation, pour permettre de débloquer une situation, il faut toujours questionner sur les réels besoins. Je vais alors questionner, et écouter longuement le demandeur.
Je découvre que son souhait intime, son rêve inassouvi, est de créer un spectacle. Ce projet ne parvient pas à prendre forme, faute de temps. Je poursuis mes interrogations, avec des questions très ouvertes.
Je lui demande alors d’exprimer le budget qui lui permettrait d’atteindre son objectif personnel, compte tenu de sa situation actuelle, de son train de vie. Après réflexion, il évoque un montant d’environ 80 000€. Il s’agit d’une somme bien inférieure à la “réparation” demandée par ses soins via la médiation. Je recoupe ces éléments. On parle désormais non plus de réparation, mais de projet et d’aboutissement, de ce qui fait la quintessence d’une vie.
Dans ce cas précis, on se rend compte qu’on ne sait pas vraiment pourquoi on demande de l’argent. A quoi va-t-il servir ? Dans ce type de situation, l’argent n’a pas de valeur, il n’a qu’une valeur émotionnelle. Il est marqueur d’une reconnaissance dont on a besoin.
Or, dans un conflit, l’une des parties va tout d’abord refuser de verser l’argent, tandis que l’autre partie n’en recevra de toute manière jamais assez. La situation est comme “verrouillée”.
Je considère que la clé de la médiation, c’est de créer du plaisir. Faire en sorte que la solution trouvée apporte une plus-value aux deux parties. Dans ce cas, il fallait faire en sorte de procurer une satisfaction concrète au demandeur, et permettre à l’autre partie de considérer l’indemnisation comme juste.
Combien de temps a duré la médiation ?
Le processus a duré entre 5 et 6 mois, environ 35 heures de discussions.
L’une de mes méthodes est d’organiser des rencontres successives séparées, avec chaque partie, puis de procéder à la réunion plénière. Les tensions sont alors désamorcées, et les rencontres s’avèrent plus productives.
A quels outils, quelles techniques de Médiateur avez-vous eu recours pour mener à bien le processus ?
L’un des outils, pour moi systématique, qui me permet de poser un diagnostic, est l’analyse transactionnelle : “Dans quel état du moi se trouve chaque personne autour de la table?”. Je dois savoir rapidement si j’ai affaire à un “normatif”, un “nourissier”, ou un “rebelle”, par exemple.
Un autre principe fondamental est de questionner. Questionner sur l’argent, questionner sur les projets, puis recouper les éléments de réponse. Je recommande de poser des questions très ouvertes puis de plus en plus factuelles et précises, d’interroger l’ensemble des interlocuteurs du projet, de consacrer un temps long à cette phase d’étude.
J’ai souvent recours à la maïeutique. Il s’agit ici de poser des questions et de faire comprendre aux interlocuteurs qu’ils détiennent eux-mêmes les réponses à leur problématique.
Ensuite, si le Médiateur doit s’astreindre à la plus grande neutralité, il doit nécessairement fournir un travail de conseil sur les réelles attentes, sur le plaisir, le projet, l’épanouissement personnel des parties. J’insiste sur ce point car c’est la révélation des attentes, parfois non formulées, qui peut conduire à un accord.
Sur le plan technique, je dirais également que, durant l’échange, il faut parfois savoir concéder, c’est là la réelle arme du négociateur.
Quelle était la plus-value d’un Centre de Médiation dans ce dossier ?
Le CMAP jouit d’une bonne image et d’une longue réputation. L’équipe de juristes propose un périmètre temporel et financier: cet aspect est très rassurant pour les parties.
Outre le cadre proposé, le Centre est très utile à l’organisation technique de la médiation: réunions, règlements, etc.
Quelle fut l’issue de cette médiation ?
La société éditrice a accepté de verser une somme qui a pu satisfaire le demandeur mais qui était très loin des millions d’Euros réclamés.
Nous sommes parvenus à recréer du “plaisir” dans la transaction financière: le plaisir de recevoir pour un projet personnel, mais aussi le plaisir de “donner” de l’autre partie, pour un projet de partenariat vertueux.
Une anecdote pour la fin?
Je peux vous dire que le demandeur a réalisé son projet. Je suis très heureux que cette médiation ait permis aux deux parties de sortir du conflit dans le respect et dans la perspective de nouveaux projets.
Propos recueillis par Marjolaine RATIER
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