La subtilité du critère de l’internationalité de l’arbitrage


Les règles applicables à la compétence arbitrale mettent en lumière des aspects cruciaux de l’arbitrage international. Néanmoins, leur mise en œuvre peut susciter de vifs débats, comme ce fut le cas suite à l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 5 mars 2024, rejetant un recours en annulation contre une sentence arbitrale rendue le 28 janvier 2022.

En l’espèce, les demanderesses avaient cédé des parts sociales d’une société ivoirienne à une société filiale d’un groupe luxembourgeois. Ce contrat de cession, un pacte entre associés et un acte d’adhésion, prévoyaient des clauses d’arbitrage donnant compétence au Centre de médiation et d’arbitrage de Paris – CMAP-, sans faire référence à la loi applicable à l’arbitrage. Un litige est apparu concernant le paiement de dividendes de l’exercice 2015, soit l’exercice antérieur au contrat de cession. Une procédure arbitrale a été lancée auprès du CMAP et la sentence rendue par un arbitre unique.

Outre la question de la fraude supposée et la contrariété de la sentence à l’ordre public international, rejetée par la Cour d’appel, les demanderesses demandaient l’annulation de la sentence pour deux autres motifs. D’une part, elles considéraient que l’arbitrage, considéré comme international par l’arbitre, présentait une nature interne car le litige portait sur une distribution de dividendes qui devait être effectuée, sur le fondement des statuts, par la société ivoirienne au profit de personnes physiques domiciliées en Côte d’Ivoire, aucun transfert international de dividendes par-delà la frontière ivoirienne n’étant donc réalisée : aucun flux transfrontalier, donc aucune mise en jeu du commerce international. Pour la Cour d’appel, le litige portait sur l’interprétation des dispositions régissant la distribution des dividendes, contenues dans des contrats impliquant des parties ivoiriennes et luxembourgeoises, ce qui dépassait le cadre d’un seul État et engageait les intérêts du commerce international. « De même, la qualification, interne ou internationale, d’un arbitrage, déterminée en fonction de la nature des relations économiques à l’origine du litige, ne dépend pas de la volonté des parties. L’arbitrage est ainsi international en fonction du litige qui en est l’objet »[1].

D’autre part, les demanderesses contestaient la validité des clauses compromissoires à la lumière du droit ivoirien, arguant que celles-ci ne pouvaient s’appliquer, car les demanderesses n’étaient pas commerçantes, conditions de validité de ces clauses en droit ivoirien. Pour la Cour d’appel,« les parties ont entendu soumettre leur litige à un arbitre unique, siégeant à Paris et statuant en français, conformément au Règlement (…) du Centre de Médiation et d’Arbitrage de Paris. L’arbitrage étant international, il est soumis à la règle matérielle du droit français de l’arbitrage qui consacre un principe de licéité de la clause d’arbitrage. L’argumentation des demanderesses, relative à l’application de la loi ivoirienne à la validité des clauses compromissoires, est en conséquence inopérante »[2]. C’est ainsi que la Cour d’appel a reconnu tant la validité que l’applicabilité des clauses d’arbitrage, considérant de ce fait que le droit ivoirien de la validité des clauses compromissoires ne relève pas de l’ordre public international français.

Cette décision révèle, une fois de plus, la subtilité avec laquelle doit être appliqué le critère de l’internationalité de l’arbitrage. Pour Jérémy Jourdan Marques : « Premièrement, il y a quelque chose d’incongru à ce que la validité de la clause compromissoire dépende indirectement de l’internationalité ou de l’internité du litige. La validité doit dépendre de critères identifiables à priori et non de la nature du litige à posteriori. (…) Deuxièmement, (…) on peut se retrouver, pour une même sentence à appliquer au contrôle de la compétence, des règles de référence différentes, en fonction du lieu où le siège est fixé. (…).  À double titre, l’arrêt ne manque pas de susciter la réflexion. ».[3] 


[1] Cour d’appel de Paris. Pôle 5, chambre 6. Arrêt du 5 mars 2024, n° 29/2024, RG No. 22/05167, p. 6.

[2] Idem, p. 8-9.

[3] Voir J. Jourdan Marques, Chronique d’arbitrage ; Dalloz actu 21 mars 2024.


Lina Reyes

Juriste – Pôle MARD

CMAP


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *