En dépit de nombreux avantages, la médiation reste peu connue des entreprises, et encore moins pratiquée, alors même qu’elle permet de résoudre les litiges de façon rapide, confidentielle, peu coûteuse, tout en préservant les objectifs de l’entreprise.
Les directeurs juridiques ont un rôle clé dans le choix de la médiation comme mode de règlement des litiges ; quels sont les blocages ? voici 10 mauvaises raisons pour un directeur juridique de ne pas utiliser la médiation en cas de litige.
- Je ne connais pas la médiation
L’argument :
La médiation est encore peu connue des entreprises et des directeurs juridiques et donc peu pratiquée. Dans les contrats internationaux, la clause arbitrale est très répandue, contrairement à la clause de médiation qui reste peu utilisée.
Dans les contrats entre entreprises françaises, les clauses de médiation restent là encore peu utilisées. Les directeurs juridiques ont rarement le réflexe d’utiliser la médiation en cas de litige, par méconnaissance du processus, manque de familiarité ou méfiance.
La réalité :
Les avantages de la médiation sont unanimement reconnus : rapidité, coût limité, confidentialité, suppression de l’aléa judiciaire … la médiation est source de création de valeur en ce qu’elle permet la recherche de solutions innovantes, pratiques, adaptées aux impératifs des parties et intégrant les paramètres commerciaux et humains.
Il existe en France de nombreux médiateurs, regroupés ou non, au sein de centres de médiation, et en particulier le CMAP, Centre de Médiation et d’Arbitrage de Paris avec ses médiateurs intervenant plus particulièrement en médiation d’affaires. Crée en 1995 par la chambre de commerce et de l’industrie de Paris-Ile de France, le CMAP est, depuis, le centre de référence pour le règlement des différends des entreprises par les voies de médiation et de l’arbitrage. Près de 230 médiateurs formés, certifiés et agréés sont inscrits au CMAP.
2. Nous n’avons pas besoin d’un tiers pour négocier
L’argument :
Nous avons, au sein de l’entreprise, l’expérience de ce genre de négociation. Nous connaissons le dossier et l’autre partie. Nous avons suffisamment de ressources internes ou externes pour mener une négociation. Cet argument est d’autant plus fort que les parties ont, dans une grande majorité des cas, déjà tenté de négocier.
La réalité :
Le rôle du médiateur n’est pas de conduire la négociation mais d’accompagner les parties dans un process dont il est le garant. Il s’agit d’un process volontaire dont les parties gardent le contrôle : liberté d’entrer en médiation et d’en sortir, liberté du choix du médiateur, maitrise des solutions négociées… Le médiateur, indépendant, neutre et impartial, joue un rôle actif : il doit favoriser la reprise du dialogue et la recherche de solutions innovantes et adaptées aux besoins des parties.
3. Les enjeux personnels internes à l’entreprise sont trop forts
Quelques cas de figure :
Le directeur juridique veut apparaitre comme « dur » vis-à-vis des opérationnels, de sa direction générale ou même de ses équipes. La poursuite d’une ligne dure sert une posture d’intransigeance du directeur juridique pour asseoir son pouvoir ou sa crédibilité :
- à la demande des opérationnels qui veulent se positionner vis-à-vis de l’autre partie ou de tiers (concurrents, marché…)
- à la demande de sa direction générale pour des raisons liées à la nature du litige (ex : raisons financières, image de l’entreprise…)
La réalité :
Dans certains cas les enjeux personnels des acteurs du conflit sont en contradiction avec l’intérêt de l’entreprise, pour des raisons claires ou cachées (ex : agenda personnel, égos, raisons de pouvoir interne, raisons business vis-à-vis de l’autre partie…)
La raison d’être du directeur juridique est de protéger les actifs de l’entreprise ainsi que ses dirigeants et d’être le garant de l’intérêt social ; ce rôle impose courage, lucidité et indépendance. Les enjeux personnels ne doivent en aucune manière interférer dans le choix du mode de règlement d’un litige.
4. L’antagonisme est trop fort
L’argument :
C’est allé trop loin … ! Les ponts sont rompus …
Certains litiges se transforment en conflits aigus, souvent personnels entre ses acteurs, dans lequel l’objectif est de gagner « coûte que coûte ». Consciemment ou non, les parties cherchent à « détruire » l’autre, en tout cas lui nuire par la poursuite d’une procédure. Ce cas de figure est fréquent lorsque le litige est l’aboutissement de multiples problèmes accumulés dans le temps ou lorsque les antagonismes personnels prennent le dessus (ex : sentiment de trahison, besoin de vengeance…)
Là encore les questions personnelles jouent un grand rôle dans l’escalade du conflit qui amène la plupart du temps les parties à une guerre de tranchées et le conflit à un blocage ; les parties ont dans ce cas le sentiment qu’il est trop tard et que seul le juge sera à même de trancher le litige.
La réalité :
Là encore le directeur juridique doit mettre en avant ses qualités de courage, de lucidité et d’indépendance pour proposer une solution innovante et efficace : c’est la médiation qui permettra de renouer le fil du dialogue.
Quelques chiffres devraient aider :
- Durée moyenne des procédures contentieuses (procédures commerciales à Paris, 1ère instance et appel) : 36 mois
- Durée moyenne des médiations CMAP : 14 heures
- Taux de réussite des médiations conventionnelles CMAP : 69 %
5. La médiation est un aveu de faiblesse
L’argument :
Utiliser la médiation pour mettre fin au litige pourrait être perçu comme un aveu de faiblesse ou de responsabilité !
Ce sentiment est fréquent chez une partie demanderesse notamment lorsqu’elle réclame une réparation, le rétablissement d’un droit ou la mise en cause de la responsabilité d’une autre partie. Ce sentiment est d’autant plus fort que le litige est public ou que son issue a un impact sur l’image de l’entreprise.
La réalité :
Utiliser la médiation démontre au contraire un grand sens pragmatique, une volonté de résoudre un conflit de manière rapide et intelligente et un souci de préserver la relation avec l’autre partie. En tout état de cause, là encore, la confidentialité de la médiation est absolue.
6. La médiation n’est pas adaptée aux litiges complexes
L’argument :
La médiation n’est pas adaptée aux litiges complexes !
Certains pensent, à tort, qu’il ne peut pas y avoir de médiation lorsque :
- Les enjeux financiers sont trop importants
- L’objet du litige présente une technicité particulière (ex : responsabilité industrielle complexe, conflit de brevets, évaluation de préjudices complexes…)
- Les points de droit à trancher sont trop complexes
- Le litige est trop sensible compte tenu de son objet ou des parties en cause
La réalité :
La Médiation est parfaitement adaptée aux litiges complexes.
Plus la complexité d’un litige est grande, plus la recherche de la solution doit faire l’objet d’échanges, de réflexions, de créativité, et d’une solution « sur mesure » loin des aléas judiciaires !
La médiation est en cela d’autant plus adaptée aux litiges complexes. Tout litige nécessite une analyse complète préalable : causes, enjeux, risques et conséquences doivent être étudiés. Le directeur juridique doit être garant de cette étude de risques qui peut amener à opter pour la médiation conventionnelle. Dans ce cas, le choix du médiateur est un élément clé, tout comme l’est celui du choix des participants à la médiation. Dans une médiation conventionnelle, le directeur juridique joue donc un rôle de chef d’orchestre, mettant en avant ses qualités de force de proposition, de garant des risques de l’entreprise et de stratège.
7. La Procédure est déjà lancée… il est trop tard !
L’argument :
Les tentatives de négociation ont échoué. La procédure est lancée, il est trop tard pour aller en médiation !
La réalité :
La médiation peut être mise en œuvre à tout moment :
- Avant tout litige
- Pendant une procédure judiciaire : à l’initiative du juge ou des parties, avec ou sans suspension de la procédure
- Après un jugement : pour éviter les voies d’exécution ou les voies de recours, pour s’accorder sur l’interprétation d’un jugement ou les modalités de son exécution
8. Nous sommes certains de gagner au tribunal !
L’argument :
Nous avons un bon dossier et sommes certains degagner au tribunal…
La réalité :
Le directeur juridique doit prévenir une analyse trop partiale du rapport de force au sein de l’entreprise ! Le manque de recul ou d’analyse du dossier, ou encore un certain déni des propres erreurs de l’entreprise peut conduire à créer de fausses certitudes et à une forme d’aveuglement. Là encore le rôle du directeur juridique est primordial ; son indépendance, sa lucidité, son esprit critique et d’analyse permettront d’éviter des mauvaises décisions.
9. Une décision judiciaire est plus claire
L’argument :
Une décision judiciaire a le mérite de la clarté en ce qu’elle tranche clairement le litige d’une part et en ce qu’elle a force exécutoire d’autre part.
La réalité :
La médiation permet d’aboutir à un accord parfaitement adapté aux besoins et attentes des parties puisque les parties ont la maitrise de la médiation et donc du contenu de l’accord final. L’accord des parties bénéficie de la force obligatoire. Si l’accord fait l’objet d’un accord transactionnel il empêche toute nouvelle action en justice ayant le même objet.
Enfin, chaque partie peut faire de l’accord transactionnel l’équivalent d’un jugement et lui conférer force exécutoire en demandant son homologation par le juge.
10. Notre avocat nous pousse au contentieux
L’argument :
Notre avocat nous pousse au contentieux …
La réalité :
Certains avocats ont semblé réticents à recommander la médiation soit par manque de familiarité avec le process, soit qu’ils considéraient la médiation comme une menace en ce qu’elle renvoyait sur les parties elles même la liberté de négocier l’issue du litige. La réalité montre aujourd’hui que de plus en plus d’avocats recommandent la médiation dans laquelle leur rôle est très important. Le rôle de conseil de l’avocat est en effet clé lors de la réflexion sur la stratégie de sortie du litige, lors des réunions de médiation, lors de la rédaction du protocole transactionnel et lors de l’exécution de l’accord. Tout autant que le directeur juridique, l’avocat doit devenir un prescripteur de la médiation conventionnelle !
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La médiation est devenue un préalable ou une alternative incontournable à la procédure judiciaire compte tenu de ses nombreux avantages.
Les obstacles à la mise en œuvre de la médiation comme mode de règlement du litige, sont souvent liés à des questions de personnes ou un manque de connaissance du processus.
Le positionnement du directeur juridique au sein de l’entreprise, sa capacité à être force de proposition, en particulier pour pousser des solutions innovantes, pour garantir en toutes circonstances l’intérêt social doit amener ce dernier à intégrer la médiation dans sa stratégie contentieuse et précontentieuse.
Jean-Luc Petit
Médiateur agréé CMAP