La jurisprudence récente de la Cour de cassation a conduit à une limitation de l’effet négatif du principe compétence-compétence. Cette nouvelle affaire en présence d’une partie impécunieuse faisait craindre que l’effet négatif de ce principe subisse, à nouveau, un coup de butoir.
Les faits de cet arrêt sont assez classiques. La société CPP Le Mans Distribution (le franchisé), et la société Selima, filiale du groupe Carrefour, ont conclu un contrat de franchise avec la société Prodim, devenue la société Carrefour Proximité France (CPF), et un contrat d’approvisionnement avec la société CSF France (CSF). Ces contrats contenaient une clause compromissoire. Soutenant être victimes de pratiques anticoncurrentielles et restrictives de concurrence de la part des sociétés CPF, CSF et Selima, la société CPP et son gérant les ont assignées devant un tribunal de commerce. Les sociétés CPF, CSF et Selima ont soulevé l’incompétence des juridictions étatiques en invoquant les clauses compromissoires des contrats de franchise et d’approvisionnement.
La Cour d’appel de Paris s’est déclarée incompétente et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir, malgré l’argumentation du franchisé quant à sa situation d’impécuniosité. La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le franchisé en rappelant que « Dès lors qu’il n’était pas soutenu qu’une tentative préalable d’engagement d’une procédure arbitrale avait échoué, faute de remède apporté aux difficultés financières alléguées par M. [B] et la société CPP, la cour d’appel a retenu à bon droit, sans méconnaître le droit d’accès au juge, que l’invocation par les demandeurs de leur impécuniosité n’était pas, en soi, de nature à caractériser l’inapplicabilité manifeste des clauses compromissoires ».
Cette décision appelle plusieurs remarques. Tout d’abord, la Cour de cassation maintient la ligne de la jurisprudence Lola Fleur1, en rappelant que l’impécuniosité d’une partie n’emporte pas l’inapplicabilité manifeste de la clause compromissoire. Cependant, la Cour ajoute en l’espèce que : « dès lors, qu’il n’était pas soutenu qu’une tentative préalable d’engagement d’une procédure arbitrale avait échoué ». Par cette phrase la Haute juridiction invite donc la partie impécunieuse à tenter de mettre en œuvre la procédure arbitrale. Si la mise en œuvre de la procédure n’est pas possible à cause de l’impécuniosité de la partie, alors l’accès au juge n’est plus garanti et il semble que la Cour de cassation envisage de priver d’effet la clause compromissoire.
Une partie de la doctrine2 semble penser que cette décision vient compléter la solution retenue dans l’arrêt Tagli’apau3. La combinaison de ces deux décisions permettrait de mettre en place un système plus équilibré visant, d’une part, à ménager l’efficacité de la clause compromissoire et, d’autre part, à garantir l’accès au juge lorsqu’une partie est impécunieuse.
Bien que cette solution puisse paraître équilibrée, elle soulève un certain nombre d’interrogations, quant au rôle des acteurs de l’arbitrage, qui sont invités par les juridictions françaises à permettre l’accès au juge. Quel devra être le rôle, notamment, des centres d’arbitrages, des tribunaux arbitraux et enfin des avocats des parties dans ce mécanisme ? Il faudra visiblement attendre les prochaines décisions de la Cour de cassation, afin qu’elle définisse les contours des obligations des acteurs de l’arbitrage destinées à garantir aux parties impécunieuses un accès effectif au juge.
Voir :
1 Cour d’appel de Paris, pôle 1, ch. 1, 26 février 2013, SARL Lola Fleurs c/ Société Monceau Fleurs et autres, RG no 12/12953
2 J. Jourdan-Marques, Dalloz Actualités, Chronique d’arbitrage : la face cachée des recours contre la sentence, le 28 octobre 2022,
3 Civ. 1re, 9 févr. 2022, n° 21-11.253, D. 2022. 358
Alexandre LERCHER,
Juriste – Litigation Finance – Docteur en Droit
IVO Capital Partners