Le 27 février 2020, Benoît Javaux (avocat et médiateur) et Jean-Charles Savouré (ancien directeur juridique d’IBM et médiateur CMAP) ont présenté une conférence sur le thème « Actualités et pratique de la médiation inter-entreprises » au sein du cabinet d’avocats Quinn Emanuel Urquhart & Sullivan. Lors de cette conférence, les deux intervenants ont détaillé les dernières évolutions législatives et réglementaires en la matière et les points d’attention du régime des clauses de médiation. Ils ont également prodigué des conseils pratiques et stratégiques pour aborder efficacement les différentes étapes d’une médiation.
I. Des modes amiables pour la résolution des différends
Le recours aux modes amiables de résolution des différends, et en particulier de la médiation, se développe de plus en plus, encouragé en cela par les pouvoirs publics. La voie amiable a en effet de nombreux atouts, dont la préservation de la relation affectée par le différend, la rapidité de la démarche et son faible coût. Les pouvoirs publics y voient également un moyen de réduire le nombre de litiges soumis au juge et donc de désengorger les tribunaux.
La loi du 23 mars 2019 de réforme pour la justice et son décret d’application du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile ont même institué le recours à une conciliation, à une médiation ou à une procédure participative en tant que préalable obligatoire à la saisine du Tribunal judiciaire, (i) lorsque la demande tend au paiement d’une somme inférieure à 5.000 euros ou (ii) lorsqu’elle est relative à un conflit de voisinage (Art. 750-1 du CPC). Il existe néanmoins des exceptions, notamment pour cause de « motif légitime » (par exemple en cas d’urgence manifeste). La loi du 23 mars 2019 a également généralisé le pouvoir d’injonction du juge de rencontrer un médiateur en tout état de la procédure, y compris en référé, lorsqu’il estime qu’une résolution amiable du litige est possible.
Compte-tenu des avantages de la médiation, il est en pratique pertinent d’en discuter dès le début de la relation commerciale avec son partenaire, c’est-à-dire lorsque les deux parties formalisent leur volonté de travailler ensemble dans un contrat. C’est en effet au moment où tout va bien qu’il faut prévoir un mécanisme permettant de préserver la relation en cas de survenance d’un litige.
II. Points d’attention concernant le régime des clauses de médiation
Le régime des clauses de médiation est essentiellement jurisprudentiel. La clause de médiation doit être écrite. Elle doit indiquer, de manière expresse et non-équivoque, que le recours à la médiation est un préalable obligatoire à la saisine de la juridiction (Cass. Com. 29 avril 2014, n° 12-27004).
La clause doit également comporter des conditions particulières de mise en œuvre. Si la médiation est institutionnelle, la clause doit renvoyer au règlement de médiation encadrant la procédure à suivre (par exemple le règlement du CMAP) et indiquer que les parties ont eu connaissance de ce règlement et déclarent y avoir adhéré. Si la médiation est ad hoc, la clause devra a minima indiquer le nom du médiateur ou les critères permettant sa désignation (l’idéal étant de prévoir le recours au juge des référés en cas de problème de mise en œuvre), les délais de saisine du médiateur et la durée maximale de la médiation (cf. Guide des modes amiables de résolution des différends, LexisNexis, février 2020, p. 68).
La médiation a également un effet suspensif de prescription (défini à l’article 2238 du code civil) afin de ne pas pénaliser le demandeur. La prescription est ainsi suspendue à compter de la première réunion de médiation. Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter de la date à laquelle soit l’une des parties ou les deux, soit le médiateur déclarent que la médiation est terminée.
La jurisprudence a également entendu assurer l’efficacité des clauses de médiation en sanctionnant leur non-respect par une partie (Cass. Ch. Mixte, 14 février 2003, n° 00-19423 : arrêt de principe), c’est-à-dire lorsqu’une partie décide d’agir en justice sans respecter le préalable que constitue la médiation. La sanction procédurale est une fin de non-recevoir (Art. 122 du CPC), qui peut être soulevée en tout état de cause et qui aboutit à ce que l’action soit déclarée irrecevable pour défaut temporaire de droit d’agir. Il est à noter que cette fin de non-recevoir n’est pas régularisable par la mise en œuvre de la clause en cours d’instance (Cass. Ch. Mixte, 12 décembre 2014, n° 13-19684). Il en résulte qu’une fois son action déclarée irrecevable, le demandeur devra mettre en œuvre la clause de médiation puis, en cas d’échec de cette médiation, introduire une nouvelle action en justice (à supposer que son action ne soit pas prescrite en raison du temps perdu lors de la première action finalement déclarée irrecevable).
Il existe néanmoins des limites à l’application des clauses de médiation préalable. Ainsi ces clauses sont inapplicables aux mesures d’instruction in futurum (i.e. actions permettant d’obtenir, de façon non-contradictoire, des éléments de preuves avant tout procès) ainsi qu’aux procédures de référé en cas d’urgence (Cass. Com. 8 novembre 2016 n° 14-21481).
III. Comment aborder efficacement les différentes étapes d’une médiation ?
La médiation est sans doute le plus utilisé des modes amiables de résolution des différends. Son efficacité découle de la présence d’un tiers, dont le rôle n’est pas de se focaliser sur les questions juridiques, mais d’accompagner les parties dans la co-construction de leur solution amiable, qui est souvent trouvée en dehors du périmètre initial du litige.
Le rôle du médiateur n’est en effet pas de juger l’affaire, ni de fournir ses propres solutions. Les parties ne doivent donc pas chercher à absolument convaincre le médiateur du bien-fondé de leur position. Le médiateur fixe un cadre, écoute et accompagne les parties vers une solution. Il pose également des questions pour mieux comprendre le dossier et faire avancer les discussions.
Le rôle de l’avocat en médiation est très différent de son rôle dans une procédure contentieuse. La médiation est en effet avant tout la chose des parties, pas celle des avocats. C’est pour cela qu’il est important que des décisionnaires y participent pour chacune des parties. L’avocat intervient essentiellement en amont afin de définir la stratégie et de préparer le client (explication sur le déroulement de la médiation ; définition de la position initiale de négociation ; conditions d’un accord acceptable ; alternatives et différentes options). Pendant la médiation, l’avocat présente les aspects juridiques (qui ne sont en principe pas essentiels dans une médiation) et contribue à la discussion et à la formulation des propositions. Il a donc principalement un rôle de conseil : il ne doit pas « plaider » le dossier, monopoliser la parole ni faire obstacle par son comportement à la médiation.
Dans le détail, la conduite d’une médiation – telle que préconisée et utilisée par le CMAP – est fondée sur une division du processus en cinq phases successives, étant précisé qu’en pratique il existe souvent des allers-retours entre les différentes phases :
Introduction / Présentation
Cette première étape permet au médiateur de se présenter (en s’efforçant d’emblée de créer un climat de confiance), de bien définir ce qu’est la médiation (un processus de facilitation d’une discussion transactionnelle) et ce qu’elle n’est pas (une instance de jugement), ainsi que les avantages qu’elle présente par rapport à la voie judiciaire (liberté et confidentialité des débats, absence de restriction quant au champ des solutions possibles…). Elle permet aussi de rappeler les règles qui gouvernent le processus : indépendance, neutralité, impartialité du médiateur, confidentialité des débats, respect mutuel, droit de mettre fin à la médiation à tout moment, force obligatoire de l’accord en cas d’issue favorable. Chacune des parties est invitée à confirmer qu’elle comprend ces règles et s’engage s’y conformer.
Phase du « Quoi ? »
Exposé des positions respectives : Chacune des parties est invitée à présenter sa version des faits ayant conduit au litige. Le médiateur cherche à cerner le centre du conflit, à découvrir les non-dits. Il reformule ce que les parties ont exposé et les amène à se mettre « d’accord sur leur désaccord ».
Phase du « Pourquoi »
Identification des besoins de chaque partie, recherche des intérêts réciproque : On entre ici dans le détail des points saillants préalablement exposés. Le recours aux apartés permet d’aider à la reconnaissance mutuelle des besoins et d’identifier les zones de concession envisageables par chacune des parties. Les parties peuvent également être à l’origine d’un aparté afin d’utiliser le médiateur pour relayer une information, une position ou une proposition de façon indirecte. Il est même possible de demander au médiateur de s’approprier une suggestion afin de lui donner une apparence plus objective.
Phase du « Comment ? »
Travail en commun sur les solutions possibles : Les premiers points de rencontre apparaissent et permettent de s’orienter vers des solutions, les discuter, les hiérarchiser.
Phase du « Comment finalement ? »
Formalisation de la solution retenue : Les parties tombent d’accord sur la manière de mettre un terme au litige. Le recours aux conseils des parties (avocats, directeurs juridiques) est ici essentiel, c’est à eux qu’incombe de coucher sur papier la solution finalement retenue. L’accord pourra, si les parties le souhaitent, être soumis au tribunal pour homologation, ce qui lui donnera force exécutoire.
Rappelons enfin que chacune des parties, ainsi que le médiateur, peut mettre un terme à tout moment à la médiation. La médiation est un processus volontaire, non juridictionnel, dans lequel la liberté est essentielle. Il est néanmoins recommandé de bien peser sa décision avant de sortir d’une médiation et de risquer d’affronter un procès potentiellement long, coûteux et par nature affecté d’un aléa.
BENOÎT JAVAUX AVOCAT & MÉDIATEUR, JEAN-CHARLES SAVOURÉ MEDIATEUR CMAP
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